Porter sa peine, La prison en Polynésie française
EAN13
9782367345185
Éditeur
Au vent des îles
Date de publication
Collection
SCIENCES HUMAINES
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Porter sa peine

La prison en Polynésie française

Au vent des îles

Sciences Humaines

Indisponible

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Suite à une enquête commanditée par la mission des services pénitentiaires de
l’Outre-mer en 2019, Marie Salaün (anthropologue), Jacques Vernaudon
(linguiste), en collaboration avec Mirose Paia (spécialiste en langues et
littérature polynésiennes), se sont penchés sur la prison en Polynésie
française, plus spécifiquement à Tahiti. Ils sont partis d’un constat simple :
à Tahiti comme ailleurs, elle est à la fois omniprésente dans le débat public
et particulièrement mal connue. Son évocation déclenche des réactions d’autant
plus vives qu’elles se situent sur un plan émotionnel, voire passionnel. Pour
autant, les réalités carcérales restent globalement méconnues du grand public,
et il n’existait d’ailleurs jusque-là aucun travail académique publié sur ce
sujet. Le propos de ce livre est donc d’abord d’apporter des connaissances sur
les conditions de la privation de liberté à Tahiti. Si la prison fascine,
c’est avant tout parce qu’elle fait peur, ce qui est précisément une de ses
fonctions. Cette peur se situe à un double niveau : la peur de la prison, mais
aussi la peur des criminels qu’elle héberge. Cette peur est régulièrement
alimentée par la chronique quotidienne des faits divers sordides, qui tend à
faire oublier que la réalité de la prison est avant tout celle de la
cohabitation forcée de ceux que les médias décrivent comme des « monstres »
avec des justiciables beaucoup moins extraordinaires : des hommes et des
femmes reconnus coupables de petits vols, de petits trafics, de consommation
de stupéfiants, d’infractions routières ou de corruption. Mais cette peur
semble également alimentée par une ignorance des réalités de la vie en prison
et par une méconnaissance des caractéristiques des détenus. Marie Salaün et
Jacques Vernaudon ont donc décidé d’ouvrir la « boîte noire » pour que la
vision parfois fantasmatique de la prison qui prévaut extra-muros et
l’expérience de ceux qui la vivent intra-muros soient un peu moins
dissonantes. Il faut bien convenir que le chaud et le froid soufflent
simultanément sur la prison à Tahiti, dont l’histoire récente a été marquée
par une inflation considérable de la population qu’elle abrite. Celle-ci a en
effet été multipliée par cinq en 30 ans, passant de 120 détenus en 1990 à 600
en 2019. Si on a assisté à l’ouverture, en 2017, du centre de détention le
plus moderne de la République française, Tatutu-Papeari, il faut garder en
mémoire qu’il n’y a pas si longtemps, l’autre prison, celle de Nuutania,
faisait la une de l’actualité en raison de ses conditions « inhumaines et
dégradantes », pour reprendre les termes la Cour européenne des droits de
l’homme. Le contraste est fort entre les deux établissements tahitiens, où a
été menée l’enquête de terrain, auprès de trois types de public : des
surveillants et conseillers d’insertion et de probation, des détenus, et leurs
proches. D’autres professionnels, enseignants, psychiatres, magistrats,
avocats, chargés des activités culturelles, etc., ont également été rencontrés
dans ce cadre. Le corpus se compose ainsi : 12 entretiens avec des personnels
de direction, personnels soignants, magistrats et avocats ; 43 entretiens avec
des détenus, leurs familles, des personnels de surveillance, des personnels
enseignants et des personnels du service pénitentiaire d’insertion et de
probation. Ce livre est divisé en quatre chapitres. Le premier, « Entre les
murs : un ordre carcéral original », se propose d’exposer ce qui, en surface,
fait la spécificité de la détention en Polynésie française au premier abord :
une détention « qui se passe bien », en comparaison avec d’autres contextes,
grâce à la qualité des relations qu’entretiennent personnels de surveillance
et détenus. Pour aller au-delà de ce constat en trompe-l’œil, le deuxième
chapitre, « Je suis en détention », livre ce que les détenus ont à dire de la
manière dont ils vivent la réclusion inhérente à la privation de liberté,
afin, entre autres choses, d’interroger la portée de l’amélioration des
conditions de vie consécutive à l’ouverture du centre de détention de Tatutu-
Papeari en 2017. Le troisième chapitre, « Derrière le numéro d’écrou », a pour
ambition de présenter ce que l’on sait des caractéristiques générales de la
population pénale en Polynésie française et d’entrer dans la complexité des
trajectoires individuelles de quelques-uns des détenus pour mieux comprendre
la singularité de leur histoire de vie. Le quatrième chapitre, « Les langues
en prison : un malentendu persistant », explore l’usage du français et du
tahitien en détention. Alors que le français est la seule langue officielle,
le tahitien occupe une place importante dans une « économie linguistique
parallèle » entretenue à la fois entre détenus, et entre détenus et
surveillants. L’étude du vocabulaire et des choix linguistiques opérés pendant
les entretiens conduit également à observer un hiatus entre l’économie morale
sous-jacente au droit républicain français et celle des détenus. Les autres
grandes questions auxquelles cette recherche entend répondre sont complexes :
quelle est la pertinence d’une prise en charge spécifique pour les populations
autochtones en Polynésie française ? Jusqu’où une prison façonnée sur le
modèle métropolitain doit-elle prendre en compte les réalités sociales,
culturelles et linguistiques locales pour mieux remplir sa fonction ? Quels
éléments doivent, le cas échéant, être pris en compte par une politique
d’adaptation à ces réalités ? Finalement, en décrivant ce que peut être
l’expérience carcérale à partir de ce qu’en disent les détenus et ceux qui les
prennent en charge, on comprend ce que nous dit la prison du fonctionnement de
la société polynésienne aujourd’hui. Marie Salaün est anthropologue,
professeure à l’Université Paris Cité Ses ancrages disciplinaires sont
l’anthropologie sociale et culturelle, l’anthropologie de l’Océanie,
l’anthropologie politique, l’anthropologie de l’éducation et l’histoire
coloniale. Ses recherches portent sur la compréhension du rapport à l’Etat
dans les contextes post-coloniaux du Pacifique insulaire. Confrontant
revendications autochtones et réponses institutionnelles dans une perspective
historique, ses travaux interrogent le mot d’ordre de « décolonisation » et la
notion de « legs colonial » et ses déclinaisons locales en Nouvelle-Calédonie,
à Hawaï et en Polynésie française, initialement en matière scolaire et
désormais dans le champ pénal. Elle a été associée ou a dirigé de nombreux
projets de recherche en Polynésie française depuis 2010 : École plurilingue
outre-mer – ECOLPOM (2008-2011), L'enseignement renforcé du reo mā'ohi au
cycle 3 comme prévention et lutte contre l'illettrisme en Polynésie française
– ReoC3 (2011-2013), Le tahitien entre l’école et la famille : représentations
et pratiques contemporaines des enfants en Polynésie française (2013-2014),
Legs colonial et outre-mer autochtones : Kanak de Nouvelle-Calédonie,
Amérindiens de Guyane et Mā'ohi de Polynésie face à deux institutions de la
République française – justice et école (2014-2018), Recherche sur la
pertinence d’une prise en charge pénitentiaire spécifique en Outre-mer pour
les populations autochtones. Nouvelle-Calédonie/Polynésie française
(2018-2020), De la « dérogation » coloniale à « l’adaptation » postcoloniale :
retour sur la peine et son exécution dans les collectivités du Pacifique
français, Nouvelle-Calédonie et Polynésie française (2022-2023). Elle a
publié, entre autres : Décoloniser l’école ? Expériences contemporaines,
Nouvelle-Calédonie, Hawaï (Presses universitaires de Rennes, 2013) et avec
Émeline Le Plain, L’école ambiguë : histoires de familles à Tahiti
(L’Harmattan, 2018). Jacques Vernaudon est linguiste, maître de conférences à
l’Université de la Polynésie française depuis 2013, après avoir enseigné en
Nouvelle-Calédonie pendant douze ans. Ces travaux s’articulent autour de deux
axes complémentaires. Le premier est consacré à la description de langues
océaniennes : des langues kanak de Nouvelle-Calédonie (plus particulièrement
le drehu et le nengone) et des langues polynésiennes de Polynésie française.
Le second axe concerne la transmission de ces langues dans des contextes
plur...
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