Petite enfance, Bordeaux 1900-1906, Généalogie de la conscience et du langage

" Je voudrais écrire sur la découverte du monde par le petit de l'homme, non pas à la façon de l'adulte qui observe les enfants, mais si c'(était possible du dedans en essayant d'observer mes premières impressions, mes premières réactions. Voir comment mon milieu m'a modelée et comment je me suis dégagée de lui, quelles sont les causes de ce que je crois être une injuste défaite.""Une fois réveillé le croissant fantôme de soi-même, on ne s'en débarrasse plus, du moins pour un temps. Il venait suivant d'obscures lois, comme si tout ce qui impressionne le tout jeune cerveau de l'enfant restait inscrit en de profonds replis. Le livre de la vie, qui quelquefois se défroisse comme par bouffées, émergeant d'une nuit qui semblait totale.""Il y a tout cela autour de moi que mes yeux voient et tout ce qui se passe après et au loin, les parents, les petits frères qui naissent, et tout mon univers qui s'étend, les événements de la vie quotidienne, d'autres plus importants, plus inquiétants aussi, dont l'écho arrive jusqu'à moi par les conversations des grandes, que je saisis mal.""A d'autres heures, ce que j'éprouve jusqu'à l'angoisse, c'est le troublant mystère que je sois là, moi dans ma réalité profonde où je suis seule d'une effrayante solitude. Tout en ce monde pourrait exister sans moi, cela me serait bien égal."Lucienne Desbrousses (1899- 1986), médecin, interne des hôpitaux de Paris, parmi les premières femmes à accéder à la fonction de chef de clinique, passa sa petite enfance à Bordeaux. Elle résidait dans un pavillon de la Manufacture des Tabacs de la rue du Tondu que dirigeait son père, Auguste Desbrousses. Le quartier proche, Bordeaux, ses environs, le village limousin de Thiat, les entourages sociaux contrastés qu'elle côtoie, sont autant de lieux et de milieux qui sous-tendent le travail de remémoration auquel elle se livre."