Les voleurs de sexe

Otsiemi, Janis

Jigal

  • Conseillé par
    24 juin 2016

    Dans les matitis (bidonvilles) de Libreville, trouver LA combine pour devenir riche est l'occupation principale de la jeunesse oisive. Une nuit Benito, le fan de rap et Tata, le bourou-bourou (teigneux) attendent leur ami Balard qui pourrait avoir enfin perdu sa virginité avec la belle Nathalie. Mais pas le temps de fêter la bonne nouvelle. Une voiture vient s'encastrer dans un poteau et à son bord une mallette qui va faire leur fortune !
    Pendant ce temps, Kader, Pepito et Poupon préparent un très gros coup : attaquer le directeur de la China Woods le jour où il transporte la paye du mois des ouvriers, un petit chinois peu méfiant qui transporte sans escorte des sommes colossales.
    A la PJ, les flics se concentrent sur une affaire autrement plus importante : les voleurs de sexe ! Dans les rues de la capitale gabonaise, la psychose s'installe. D'un simple contact de la main, les voleurs de sexe envoient une décharge électrique et volent le bangala (pénis) de pauvres hommes jusque là fiers de leurs bijoux de famille.

    Trois intrigues mêlées pour une description pas très flatteuse de la société gabonaise. La pauvreté, les combines, les gros coups, la corruption, la superstition...des fléaux qui gangrènent un pays jusqu'au chef d'Etat qui a lui aussi beaucoup à cacher. Voyous et ripoux s'unissent avec pour but unique de se remplir les poches à moindre frais. Les flics qui n'hésitent pas à torturer leurs suspects passent leurs journées à se la couler douce, pariant aux courses ou fournissant des armes aux petits délinquants. Au passage, Janis Otsiemi en profite pour dénoncer la nouvelle ''chinafrique'', exploitation des ressources et des personnes par une Chine toute puissante qui prend et peine à rendre.
    Du lourd, du noir, mais pas de morosité dans la prose de l'auteur qui nous régale de sa langue imagée et percutante, un parler des rues de Libreville, savoureux, drôle, émaillé de proverbes africains, un français vivant et vivifiant. La vie est dure à Libreville mais l'espoir de s'en sortir ne s'éteint jamais. On se réjouit d'un coup réussi, on se résigne quand il rate, la faute à pas de chance, et le prochain sera meilleur !
    Ce n'est pas le polar de l'année, les intrigues, simplistes, se résolvent assez facilement mais l'ambiance africaine vaut vraiment le détour. La plume d'Otsiemi est un régal et le temps de quelques heures, on voyage vers son Gabon corrompu mais plein de vie.


  • Conseillé par
    30 octobre 2015

    Issus des quartiers pauvres, Tata, Balard et Benito, la vingtaine, flairent l'aubaine et l'argent facile lorsqu'ils trouvent les photos du président et comme ils préfèrent les petites arnaques au travail, ils foncent dans un plan qui pourrait bien les mener loin de ce qu'ils en attendaient. L'autre trio, Pepito, Kader et Poupon, plus aguerri s'apprête à monter un coup sérieux, acoquiné avec des flics franchement pourris ; ce coup pourrait être le plus beau de leur encore courte vie, trente millions de francs CFA (environ 45000 euros). Et puis, il y a cette histoire de voleurs de sexe : au contact d'un voleur de sexe, les hommes sentent comme une décharge électrique et leur sexe diminue, leurs épouses attestant cette perte de virilité. Janis Otsiemi nous plonge au cœur de la capitale avec les petites gens, pas les hommes d'affaires, ceux qui ont le pouvoir et l'argent, non ceux qui doivent se débrouiller pour vivre.

    Il mène avec brio et en parallèle ces trois enquêtes en usant d'une langue absolument merveilleuse, pleine d'expressions ou de proverbes africains, d'argot, de néologismes, de détournements du sens des mots sans que cela ne nuise à la lecture, au contraire mais aussi de français parfait ; il invente sa langue, un peu comme Audiard ou Dard l'ont fait avant lui (aucune comparaison de ma part, juste pour se faire une idée), c'est dire si on se régale à lire ses histoires. Ses héros n'en sont pas et certains d'entre eux, même s'ils sont malhonnêtes, ils ne sont pas totalement antipathiques, on aimerait bien quelquefois qu'ils se fassent gauler pour leur apprendre à vivre mais aussi qu'ils s'en sortent, le système étant totalement gangréné par la corruption, l'argent facile, le piston, ...

    Malgré son écriture enlevée et l'humour des situations, J. Otsiemi écrit un polar noir et désabusé, un peu comme si rien ne pouvait changer : les pourris resteront pourris tant que la société leur permettra l'impunité pour agir, protégés qu'ils sont par leur poste, leur bras long ; les magouilleurs le resteront tant qu'ils gagneront plus à magouiller qu'à travailler et tant que des flics véreux les protègeront et profiteront de leurs arnaques ; les petits resteront petits, travailleurs exploités par les patrons, notamment les Chinois qui investissent en force en Afrique et sont impitoyables.

    Janis Otsiemi est gabonais, vit dans ce pays. On sent qu'il l'aime et qu'il aime ses compatriotes. Malgré cela, son regard est noir sur la société : la débrouille est un moyen de survie pour beaucoup, l'arnaque itou. Lorsque certains flics sont véreux, ils le sont jusqu'à l'os, ce sont carrément de vrais gangsters. Néanmoins, ils travaillent et ont des résultats. Les politiques veillent au grain, à ce qui rien ne se sache de leurs turpitudes, de leurs penchants, de leurs magouilles, ce qui n'est pas forcément une spécialité gabonaise ni même africaine...

    Je finis par cette citation de la quatrième de couverture qui résume tout mon propos :

    "Sombre et poisseux comme une nuit africain. Style percutant, propos frondeur, humour désabusé... Avec son talent de griot urbain, Janis Otsiemi fait de chacun de ses romans une pépite de littérature noire."